Quand on découvre le monde du Produit, on entend tout le temps la même phrase : “il faut se confronter à nos utilisateurs”. Personnellement, ma première application de ce mantra a été au travers des interviews utilisateur. Même si cet exercice est déjà assez compliqué (j’ai détaillé quelques conseils dans un autre article), il présente un avantage non négligeable : la personne interviewée a acceptée un rendez-vous avec vous, elle est partante pour participer à un exercice.
Mais dernièrement, j’ai découvert une autre manière de se confronter aux utilisateurs : le guerilla testing. Pour ceux qui ne connaissent pas ce concept, il s’agit d’un test d’usabilité qui consiste à rencontrer des personnes “au hasard”, dans un lieu grand public (gare, café, la rue…), et de les confronter à votre produit. Ici, à la grande différence des interviews utilisateur, vous allez donc aborder des inconnus et leur poser des questions directement.
Intimidant ? C’est vrai, mais il y a pas mal d’astuces qui rendent l’exercice très efficace, et moins périlleux que ce qu’on croit !
Comme tout bon test, il faut se préparer
Comme dans tout, on ne se lance pas à l’improviste pour faire du guerilla testing. Je conseille de respecter ces quelques étapes :
- définissez l’objectif du test : cela peut être pour confirmer que la dernière correction de votre onboarding est bien comprise par les utilisateurs, ou encore que les utilisateurs sauront trouver ou utiliser votre dernière fonctionnalité, etc. Bref, ayez une idée précise de ce que vous voulez tester (cela ne vous empêchera pas d’apprendre des choses inattendues, bien évidemment)
- définissez vos persona : même si vous les avez sûrement déjà défini auparavant, remémorez-les vous : cela vous aidera à identifier des cibles pertinentes (plutôt des femmes ou des hommes ? quelle tranche d’âge ? etc…), voire cela pourra avoir un impact sur le lieu que vous choisirez pour faire votre test
- choisissez le lieu : l’idée est de trouver un lieu où des gens sont susceptibles de s’interrompre dans leur activité pour répondre à vos questions. De plus, en fonction de votre produit et de son objectif, certains endroits seront particulièrement adaptés :
- les cafés ou autres Starbucks : par définition, les gens s’arrêtent ici pour faire une pause, boire un café, voire travailler
- les gares, arrêts de bus ou aéroports : les gens attendent leur train ou d’autres voyageurs
- la rue : un peu plus compliqué ici car les gens sont plutôt en mouvement…
- les centres commerciaux : de nombreux bancs sont souvent occupés par des gens qui attendent
- les parcs : prototype de l’endroit où les gens ont du temps à perdre
Comme indiqué avant, n’hésitez pas à adapter le lieu en fonction de votre persona. Typiquement, si votre persona est plutôt un jeune cadre ou un étudiant, Starbucks pourra très bien convenir. Si à l’inverse vous recherchez plutôt des personnes de 45 ans ou plus, les cafés un peu plus traditionnels seront plus appropriés.
Maintenant que le cadre est posé, préparons la partie opérationnelle. Pour cela :
- Préparez votre prototype (avec l’aide de votre designer) : il faut qu’il soit le plus complet possible et semblable à l’expérience utilisateur finale. N’hésitez pas à le tester plusieurs fois vous-mêmes pour vous assurer que tout fonctionne comme attendu
- Préparez le matériel : rien de bien compliqué ici, mais un ordinateur et/ou un smartphone chargé pour faire tourner le prototype, et de quoi prendre des notes pour le scribe (eh oui, comme pour toute interview utilisateur, c’est mieux d’y aller à 2, idéalement le PM et le Designer)
Voilà, vous êtes prêts, “y a plus qu’à” comme on dit !
C’est parti !
Prévoyez une demi-journée pour une bonne session, histoire de ne pas être trop pressé ou surpris par des aléas. Rendez vous donc dans votre lieu, disons un café pour l’exemple.
L’objectif au début est de se fondre dans la masse, de faire comme les autres, pour ne pas sembler malpoli en sautant sur la première personne qu’on croise. Dans le cadre de notre café, installez-vous à une table, commandez votre café, et commencez à travailler. Pendant ces 10 ou 15 premières minutes, profitez-en pour repérer certaines personnes qui pourraient correspondre à vos persona, et qui seraient susceptibles d’être interrompues (qui s’ennuient ou qui attendent simplement).
Il ne reste plus qu’à vous lancer, prenez votre courage à 2 mains, votre plus beau sourire, et c’est parti ! Allez droit au but avec votre phrase d’accroche, ne tournez pas autour du pot. Par exemple “Bonjour, excusez moi de vous déranger, je m’appelle Laurent et je travaille pour l’entreprise SuperCompany. Je cherche à tester la compréhension de mon application : est ce que vous seriez d’accord pour répondre à quelques questions ? Ca ne vous prendra que 5 minutes, et pour vous remercier, je vous offre votre prochain café/croissant”.
Là, 2 possibilités :
- soit la personne refuse poliment : ne vous démontez pas, remerciez la, et retournez bosser à votre place. Attendez un peu, puis recommencez avec quelqu’un d’autre
- soit la personne accepte, félicitations ! Il ne reste plus qu’à dérouler, tout en conservant les bonnes pratiques d’une interview classique (mettre la personne en confiance, rappeler qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, minimiser les biais en n’orientant pas vos questions, etc…)
Petite variante que j’ai pu expérimenter aussi : plutôt que de s’adresser à une seule personne, vous pouvez aussi vous présenter à un groupe de personnes indépendantes, et qui partagent la même table (on trouve facilement des tables communes dans des Starbucks par exemple). Ici, vous aurez très probablement une personne qui acceptera de faire votre interview, et le tour sera joué.
En une demi-journée, vous pouvez viser de faire 4 ou 5 interviews, ce qui vous donnera sûrement largement assez d’insights pour savoir si votre objectif initial est atteint ou non.
Avantages et inconvénients
Disons le tout de suite, le guerilla testing présente quelques avantages notables, mais aussi quelques inconvénients.
Les avantages sont principalement :
- Pas cher : comparé à un site comme TestingTime ou Tandemz où les factures peuvent vite grimper, vous pouvez vous en tirer pour le prix d’un croissant par interview !
- Instantané : pas besoin de lancer un process de recrutement, attendre que les gens répondent, se déplacent, etc… ici, tout va très vite, et rien ne vous empêche d’itérer extrêmement vite.
Les inconvénients, quant à eux :
- la peur d’aborder des inconnus (et donc de se prendre quelques râteaux) : dans ce cas là, ayez une pensée pour nos amis recruteurs de donateurs dans les rues
- des utilisateurs moins qualitatifs : vous aurez moins d’infos sur vos utilisateurs et vous ne les choisissez pas avec tous vos critères. Il y a donc un risque qu’ils ne représentent pas tout à fait votre persona
- si votre produit est trop pointu/spécifique, il y a un risque que cette méthode ne marche juste pas du tout
Le but ultime
Vu la vitesse à laquelle on peut aller avec ce genre d’interviews, rien ne nous empêche de tendre vers ce qui avait été présenté par Julien Pelletier à la LPC Paris 2022 (et qui s’appuie justement sur les guerilla testings) : prototyper le matin selon une hypothèse, la valider par des tests l’après-midi.
Bien qu’on n’ait pas besoin d’aller jusqu’à de tels extrêmes, la capacité à tester et itérer extrêmement rapidement grâce aux guerilla tests permet de retirer énormément de risque vis-à-vis de ce qu’on envoie ensuite en Delivery à nos chers développeurs.
Ce qu’il faut retenir
- Guerilla test : présenter un prototype à des utilisateurs pris aléatoirement dans un lieu public
- Préparation
- Définir l’objectif du test
- Définir la persona
- Définir le lieu
- Préparer le proto
- Sur place
- Fondez vous dans la masse et identifiez des cibles potentielles
- Abordez-les et déroulez votre interview selon les bonnes pratiques usuelles